Présentation générale des tourbières de l’archipel
(extrait de l’article paru dans le numéro 9 de l’Echo des Tourbières)
La situation des tourbières
Les tourbières occupent plus de la moitié de la superficie de l’archipel. A ce jour, aucune étude approfondie ne leur a été consacrée. Cependant les études [WELLS & POLLETT, 1983] menées notamment dans la partie sud-est de la grande île voisine de Terre-Neuve (1/5 de la France métropolitaine en superficie) nous permettent certaines extrapolations. Nous disposons d’une bonne connaissance des plantes des tourbières de Saint–Pierre et Miquelon bien qu’aucune étude phytosociologique n’ait été réalisée.
Les tourbières de l’archipel entrent dans les deux catégories principales : ombrotrophiques et minérotrophiques.
Le visiteur sera impressionné par la véritable mosaïque que constituent nos tourbières, depuis les sites oligotrophes à Sphagnum fuscum et à Lichens du genre Cladonia et à Platanthera blephariglottis jusqu’aux sites mésotrophes à Chamaedaphne calyculata, Kalmia polifolia, Myrica gale…
Ces mosaïques comportent des tourbières en bourrelet en bord des étangs, en bordure de ruisseaux. Elles sont présentes tant sur les terrains plans et horizontaux que sur les pentes, et jusqu’en bord de mer, comme près de falaises du Cap Miquelon, où les embruns apporteraient un complément de certains sels minéraux marins. Ainsi, presque chaque mètre carré se distingue du voisin par un aspect et une composition spécifique propres.
Quatre tourbières minérotrophiques principales se distinguent sur l’île de Miquelon. On y trouve notamment Carex chordorrhiza, qui n’est noté à Terre-Neuve que dans la péninsule du Nord. La tourbière du ruisseau noir de Dolisie à Langlade, notée également comme riche, n’a pas été étudiée en détail. Une autre tourbière est présente dans la vallée moyenne de la ‘Belle Rivière’.
Quelques éléments de la faune et de la flore des tourbières
- Flore
Parmi les plantes caractéristiques des tourbières, on sera spécialement attiré par de superbes Orchidées comme Arethusa bulbosa ou Calopogon tuberosus (l’archipel compte d’ailleurs 21 espèces de cette famille au total !). Les plantes carnivores comprennent Drosera rotundifolia et D. intermedia, familières au visiteur européen, mais aussi la Grassette Pinguicula vulgaris, qui n’est pas à Miquelon réellement inféodée aux tourbières, mais plutôt aux rochers humides et pauvres et à certains sites herbeux. Les Lentibulariacées comportent 4 espèces d’utriculaires, bien plus typiques des tourbières :
- Utricularia cornuta, la plus commune et la plus répandue, tapisse littéralement nombre de trous d’eau vaseux sur tout l’archipel et fleurit assez longtemps. C’est également la plus terrestre, poussant souvent dans la vase ; les quelques utricules qu’elle possède sont cachés dans la vase.
- Utricularia vulgaris. Grande plante flottant librement et dont les tiges horizontales peuvent atteindre un mètre de long. L’espèce est commune un peu partout dans les étangs de tourbières de l’archipel.
- Utricularia intermedia est également très répandue, elle se caractérise par les utricules portés sur des ramifications distinctes. Assez commune dans l’archipel, elle fleurit moins que U. cornuta et se trouve surtout dans les cours d’eau paisibles et les petits étangs peu profonds.
- Utricularia minor L. : Bizarrement oubliée dans LE GALLO (1954) mais présente dans LOUIS-ARSENE (1927). Ne semble pas avoir été signalée pour St. Pierre. R. Etcheberry l’a trouvée, mais il ne l’a jamais vue en fleurs.
- Plus spectaculaire, Sarracenia purpurea arbore ses magnifiques urnes meurtrières. Notons aussi parmi les Graminées, Calamagrostis pickerengii et parmi les espèces ligneuses le bouleau Betula michauxii, endémique de Terre-Neuve, du Labrador et de quelques localités de Nouvelle-Ecosse.
Quelques autres éléments particuliers de la flore :
- La petite fougère Schizaea pusilla ne dépasse guère 5 ou 6 cm à Miquelon où elle vit dans les tourbières. Elle est connue de quelques localités du Canada atlantique et de l’extrême NE des Etats-Unis.
- Potamogeton confervoides : ce potamot était noté comme très rare par LE GALLO (1949). Il a pu être découvert par R. Etcheberry en plusieurs stations, notamment sur Langlade. D’autres espèces jadis citées comme rares ont pu être trouvées récemment, comme Eriophorum chamissonis ou Scirpus subterminalis, la facilité actuelle des déplacements expliquant sans doute en partie ces apports à la connaissance.
Environ 70 espèces de Cypéracées sont connues pour St-Pierre et Miquelon. Par ailleurs, 31 espèces de sphaignes, sur les cinquante qui peuplent toute l’Amérique du Nord, y sont répertoriées ! (ETCHEBERRY et al. 1987). 177 espèces de Bryoophytes au total ont été répertoriées sur l’archipel. LOUIS-ARSENE (1927) indiquait que « plus de 50% de la flore indigène » était composée de plantes aquatiques de marais ou de plantes semi-aquatiques. Si les connaissances ont évolué, le pourcentage doit rester grossièrement valable.
-
Fonge
ABRAHAM (1986) montre qu’une bonne partie des champignons sont présents dans les zones humides :par exemple, Mitrula paludosa ne pousse que dans les ruisseaux peu profonds des tourbières.
Un Sclerotina poussant sur les tiges immergées des linaigrettes pourrait bien être une nouvelle espèce en Amérique du Nord (photo Roger)
Une Russula proche de aquosa et un Hygrophorus proche de colemannianus poussent en plein milieu des Sphaignes alors que Russula paludosa préfère les tourbières plus sèches.
- Entomofaune
Parmi les particularités des insectes des tourbières, dont certains groupes ont été étudiés sur l’archipel (Lépidoptères, Odonates, Coléoptères aquatiques…), évoquons le Nordique des tourbières (Oeneis jutta), un papillon de la famille des Satyridés dont les larves se nourrissent de cypéracées. Curieusement, l’imago apparaît dans l’archipel les années impaires et à Terre-Neuve les années paires !
De nombreux Lépidoptères diurnes se retrouvent en milieux humides (ABRAHAM, 1993). Le cuivré des Marais (Lycaena epixanthe) y est particulièrement abondant en août ; le Bleu nordique (Lycaeides idas) est un habitant typique de la lande à Éricacées et le Lutin brun (Incisalia augustinus) bien que d’apparition sporadique y existe aussi. Le Collier argenté (Boloria selene), observé dans les tourbières de Savoyard, est venu s’ajouter à la liste il y a quelques années.
Il existe plusieurs espèces de Noctuelles vivant en tourbière : Exyra rolandiana a une larve qui perce un trou à la base des feuilles (urnes) de Sarracénies, tisse un genre de voile au sommet de l’urne puis dévore tranquillement l’intérieur de la feuille. De plus, lors de l’élevage de ces larves, Daniel Abraham en a trouvé qui étaient parasitées par des diptères du genre Lyxophaga dont seulement trois spécimens étaient connus, déjà obtenus à partir de la larve d’Exyra rolandiana.
Parmi les Géomètres, plusieurs (Eulithis, Carsia, Xanthoria, Itame, etc..) ont adopté spécifiquement le milieu tourbeux.
Une Demoiselle, Enallagma cyathigerum a choisi ce milieu, contrairement à ses cousines des Étangs.
Les Coléoptères y fourmillent : Gyrins, et Dytiques (au moins une vingtaine d’espèces) par exemple.
Concernant les Hémiptères, les mares sont pleines de Gerris de Corises (Corixidés) et de Notonectes. Un Cantharide, Podabrus, est lié à la Sarracénie.
Parmi les Diptères, c’est pour le moins l’abondance. Un Midge (Chironomide), Metriocnemus knabi vit uniquement les urnes au dépends des insectes qui s’y décomposent. Les Bibionides y sont légion dès le printemps (« March Flies »), ainsi que les Aedes (cousins ou moustiques), présents dans toutes les mares ! La surface des mares est couverte de Dolichopodes (« Long-legged_Flies ») et nombre d’espèces de Syrphes y butinent les fleurs.
Chez les Hyménoptères, mis à part de nombreux Ichneumons, un Halictide, Evilaeus quebecensis est continuellement présent sur les fleurs de l’Aster des marais.
Ajoutons notre singulier et volant Criquet des joncs, Stethophyma lineatum, qui est un habitant spécifique de la tourbière, ce qui est assez rare chez les criquets.
- Avifaune
Les espèces suivantes d’oiseaux se reproduisent notamment dans nos tourbières et étangs tourbeux : la Bernache du Canada (Branta canadensis), le Bruant des prés (Passerculus sandwichensis) et le Bruant des marais(Melospiza georgiana), le Goéland marin (Larus marinus), la Bécassine des marais (Gallinago gallinago), le Bécasseau minuscule (Calidris minutilla). Ajoutons aussi le Plongeaon catmarin (Gavia stellata) dont quelques couples se reproduisent régulièrement dans les îles, ceci avait été noté déjà par Austin Cameron en 1964 ! … Plus intéressant encore, cette espèce atteint sa limite sud de nidification ici dans nos îles !
Autres éléments fauniques
Notre tour d’horizon de la faune est bien sûr très incomplet ! Par exemple, il faudrait mentionner parmi les mollusques l’Ambrette amphibie (Succinea putris) dans les marais et La Physe des Fontaines, dans les ruisselets, qui semblent être communes à Langlade du moins, selon les vérifications faites par le Musée de Terre-Neuve.
Notons aussi qu’un seul amphibien est présent, la Grenouille verte américaine (Rana clamitans) et il a été introduit sur l’archipel, comme d’ailleurs à Terre-Neuve.
Les usages des tourbières
La tourbe n’a pratiquement jamais été utilisée, ni comme combustible, ni comme support de culture. Toutefois, une petite exploitation est en préparation, mais devrait être limitée dans l’espace et ; elle ne devrait concerner que les besoins locaux.
D’autres usages ont pour cadre les tourbières de l’archipel :
La cueillette de la « plate-bière » (Rubus chamaemorus) est très répandue à la fin de l’été. Le fruit orangé de cette mûre de petite taille est délicieux en confiture … ou en liqueur.
La chasse est importante sur les tourbières. Il y a 600 chasseurs à St-Pierre-et-Miquelon et certains apprécient les tourbières pour y chasser les canards, les bécassines ou la Bernache du Canada.
Les pêcheurs ne sont pas en reste, puisque l’Omble de fontaine (Salvelinus fontinalis), un Salmonidé fort apprécié, fréquente nombre d’étangs et de ruisseaux de tourbières.
Protection des tourbières :
Dès l’apparition, dans les années 1970/80, des véhicules tout-terrain, des mesures ont été prises pour en limiter les dégâts sur les tourbières. Ces mesures sont donc intervenues suffisamment tôt pour préserver nos tourbières, même si cela ne s’est pas fait sans moult contestations, qui se sont estompées au vu des dégâts infligés à la nature de la grande île voisine de Terre-Neuve par de tels véhicules.
S’il n’existe pas de menaces particulières et immédiates sur nos tourbières, il conviendrait néanmoins de prévoir tout particulièrement la protection des quatre tourbières mentionnées plus haut. Le moyen le plus approprié pour cette action devrait être réfléchi ; l’amélioration de certains éléments de la connaissance de ces milieux serait un préalable nécessaire.
Les cas où l’on peut encore préserver des tourbières en bon état, sans avoir à ‘jouer les pompiers’, ne sont pas si nombreux. Ne devait-on pas en profiter pour s’assurer de la pérennité de ces milieux, sans attendre que des menaces ne se profilent ? Les tourbières sont rares en France. Il conviendrait donc de mieux connaître et de préserver celles qui sont si typiques de notre seule terre nord-américaine.
Documents référencés
DOM COM : Les documents régionaux référencés dans notre base de données documentaire ici.